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Histoire


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Sophia

          Tout a commencé durant cette sombre nuit d'octobre 1835. Etant incapable de trouver le sommeil, j'étais restée à lire longuement dans la bibliothèque. Je ne me rappelle plus du livre que je tenais entre mes mains, mais je sais que je m'étais laissée envoûter par la magie contenue dans tous ces rayonnages de livres, où s'entassaient pêle-mêle bons et mauvais souvenirs.
          Je laissai mon regard vagabonder sur les étagères, puis sur les murs où étaient accrochés quelques portraits. L'un d'eux retint mon attention : celui de ma soeur, décédée quatre ans auparavant. Elle avait alors le même âge que moi : dix-huit ans. Ma ressemblance avec elle était frappante ; mêmes yeux bleu turquoise, même chevelure de jais lisse et brillante, même visage ovale et même teint pâle qui nous conférait à toutes deux le même air abattu et fatigué. A quelques années près, j'aurais pu être sa jumelle. Pourtant, Sophia - c'était son prénom - était beaucoup plus froide et hautaine que moi. Elle se plaisait à donner des ordres aux domestiques, comme si elle avait été la maîtresse de maison, alors qu'elle savait pertinemment que notre mère détestait cela.
Quelques fois, lorsque j'étais très absorbée par une tâche quelconque, je la surprenais en train de m'observer avec un air indéchiffrable sur le visage. On eût dit qu'elle pensait : " Petite soeur, il y a bien des choses que je sais, mais dont toi, tu ne soupçonneras jamais l'existence. " Elle ajoutait à cela un petit sourire narquois qui la faisait paraître presque diabolique. A chaque fois, ma mère apparaissait et la faisait sortir de la pièce. En passant devant elle, Sophia se raidissait et devenait plus froide que jamais. Lorsque j'interrogeais ma mère, elle me répondait que ma soeur avait un mauvais caractère et qu'il ne fallait pas que je m'en formalise. Pourtant, même quand Sophia avait commencé à adopter ce comportement, l'année de mes huit ans, je sentais qu'elle me cachait quelque chose. Avec le temps, je m'étais habituée à ne plus prêter attention à ma soeur, et j'avais appris qu'il me fallait pas trop remuer les vieilles histoires de la famille. En effet, lorsque je demandais quelque chose à quelqu'un sur mes grands-parents (que je ne voyais presque jamais), on me servait invariablement les mêmes contes stupides.
Et puis, quand j'avais eu dix ans, je m'étais mise à faire des cauchemars. Lorsque je me réveillais au matin, encore hébétée, Sophia me toisait, un sourire cruel flottant sur ses lèvres, comme si elle n'était pas tout à fait étrangère à mes rêves. " Je sais infiniment plus de choses que tu n'en sauras jamais. " semblait-elle dire. Ma mère intervenait à chaque fois, rabrouant ma soeur, qui, je le crois, lui tenait tête.
Les années avaient passé, puis était survenu l'incident - ou plutôt devrais-je dire l'accident ? - qui devait mettre fin aux jours de ma soeur. Une banale promenade en bateau s'était transformée en catastrophe, et Sophia avait péri noyée. On n'avait pas retrouvé son corps. Je l'avais pleurée, bien sûr, c'était ma soeur, mais compte tenu de sa froideur et de sa vanité à mon égard, je m'étais consolée assez vite. Mes parents s'en étaient remis comme ils avaient pu. La vie avait été forcée de reprendre son cours normal.
          Et je m'étais retrouvée dans cette bibliothèque, à évoquer mes souvenirs.


Je contemplai le portrait de Sophia - très peu de temps me sembla-t-il - mais je me rendis compte que cela faisait plus d'une heure que je le fixais. Il était quatre heures du matin. Je décidai d'aller me coucher, sachant pourtant que je ne parviendrais pas à m'endormir avant un certain temps. Je jetai un coup d'oeil dehors et je constatai que l'obscurité était opaque, en dépit du fait que la lune pleine projetait sa lumière blafarde sur l'herbe. Je restai un bon moment à considérer l'astre lunaire, Dieu seul sait pourquoi. Je me sentais irrésistiblement attirée par le dehors, et plus particulièrement par l'étang situé au fond du jardin, même s'il était alors invisible à mes yeux.
          Sans réellement me rendre compte de ce que je faisais, je traversai le vestibule et, marchant comme une somnambule, je sortis dans le jardin. J'étais incapable de penser de façon cohérente. Plus j'avançais, plus je me sentais en proie à une peur incoercible. Je continuai néanmoins à marcher. Je me dirigeai vers l'étang, trouvant mon chemin à travers la brume naissante. Une lueur violette et compacte semblait alors se dégager de l'eau. J'avançais inexorablement, presque contre ma volonté. Je ne prenais pas garde au froid qui mordait mes bras nus.
Après avoir atteint le bord de l'étang, je m'arrêtai quelques secondes, à peine consciente de mes faits et gestes. Je descendis dans l'eau glacée, indifférente au froid qui transperçait mes pieds, puis mes jambes. Je cessai ma descente lorsque j'eus de l'eau jusqu'aux coudes. Alors une forme indistincte sembla sortir de l'eau. Une forme humaine, couverte des lambeaux de ce qui avait dû être des vêtements, une forme humaine avec un visage dont la pâleur surnaturelle faisait ressortir les yeux bleus iridescents et les cheveux noirs. La chose tendit le bras dans ma direction et me fit signe d'avancer dans une geste suppliant. Une évidence s'imposa à moi : Sophia (il n'y avait aucun doute dans mon esprit : c'était bel et bien ma soeur, dans un état impossible à décrire) était emprisonnée par cette eau fétide et je devais aller l'aider, la sortir de là. Je ne pensai même pas qu'elle était censée être morte depuis quatre ans.
          Fascinée par cette apparition, je m'approchai davantage. Sophia, ou du moins son spectre, me subjuguait à tel point que je ne prenais pas garde à l'eau qui m'arrivait jusqu'au cou, et qui commença bientôt à entrer dans ma bouche, mes oreilles et mon nez. Lorsqu'il me fut devenu impossible de respirer, je me débattis violemment, comprenant d'un seul coup, comme au sortir d'un rêve, l'absurdité de ma situation. Sophia me faisait toujours signe d'avancer, mais je ne pouvais plus lui obéir. J'essayai de hurler, de reculer, mais la vase me retenait au fond de la marre et se tassait sous mes pieds. Je réussissais encore à prendre quelques inspirations, mais il me fut bientôt impossible de garder la tête hors de l'eau. J'avais très froid et ma peur se muait progressivement en terreur puis en panique. Tandis que je comprenais que j'allais périr étouffée, je crus sentir le contact rassurant d'une main sur mon avant-bras. Je cessai instantanément de me débattre. Je commençai à délirer, car je ne comprenais plus ce que je faisais là. Je crus que je venais de perdre connaissance et que je ne me réveillerais plus jamais. Je ne sentais plus l'eau qui me retenait prisonnière. Mais non. Je n'étais pas encore morte, je me noyais, tout simplement. Je réussis miraculeusement à prendre une dernière inspiration, puis je laissai l'eau m'engloutir, m'abandonnant à la douce torpeur qui me gagnait. Durant une fraction de seconde, je me fichai bien de mourir ou non. Ma soeur m'appelait à elle, et c'était tout ce qui comptait. Je crois que j'avais les yeux fermés, mais pourtant je voyais Sophia qui me souriait avec une expression douce et gentille que je ne lui avais jamais vue sur le visage. Mais non, ma soeur est morte, elle ne peut pas être ici. Ce n'est pas là qu'elle s'est noyée, pensai, je confusément. Soudain, mon corps échappa au contrôle de mon esprit, et je fis de violents mouvements pour me soustraire à cette étreinte glacée. Au moment où, au prix d'immenses efforts, je sortis la tête de l'eau, je sentis mes membres se raidir dans une ultime tentative pour s'accrocher à quelque chose, et je perdis conscience.
          Je me réveillai dans mon lit, les cheveux encore trempés. Le visage inquiet de ma mère était penché au-dessus de moi. " Enfin, j'ai cru que tu ne te réveillerais pas. " J'essayai de lui dire quelque chose afin de la rassurer, mais je me révélai incapable de parler. " Rendors-toi, mon ange, tu as besoin de repos. " Ce que je fis sans tarder.
          Je repris mes esprits le lendemain, une douleur lancinante à l'estomac. Un plateau de nourriture était posé sur une petite table près de mon lit. Je dévorai tout ce qui s'y trouvait. Ma mère entra dans ma chambre et me dit qu'on m'avait retrouvée inconsciente et trempée jusqu'aux os près de l'étang au fond du jardin.
J'étais si faible que je n'eus même pas le courage de lui demander des précisions. J'étais obnubilée par le visage de ma soeur. Je dormis encore trois ou quatre heures, et je repris totalement possession de mes moyens vers cinq heures. Ma mère me demanda alors pourquoi j'étais sortie en pleine nuit et pourquoi j'étais allée prendre un bain de pieds dans l'étang. J'étais si épuisée et si faible mentalement que je lui racontai tout ce qui s'était passé sans rien omettre. Je pensais que si je n'étais pas folle, ma mère me prendrait pour telle. Mais elle n'en fit rien. Elle me quitta en me disant très sérieusement qu'elle m'expliquerait " certaines choses " lorsque je serais remise. Dans les heures qui suivirent, je commençai à avoir mal à la gorge, puis de la fièvre. Le médecin diagnostiqua une forte angine.
Ma maladie dura des jours. J'eus une très forte fièvre. A un moment donné, je commençai même à délirer. Le peu de temps que je réussissais à m'assoupir, je rêvais de Sophia, Sophia qui me demandait de la rejoindre, Sophia qui était devenue si charmante... Mais je lui résistais invariablement. Dans le dernier de ces songes, je me débattais avec plus de véhémence et plus de force, compte tenu de mon état physique qui s'améliorait et qui influait sur mon subconscient. Alors je n'eus plus en face de moi une jeune fille à l'air doucereux, mais une créature dont l'expression cruelle et diabolique me firent tant d'effet que je m'éveillai en sursaut. A cet instant, je sus que je n'étais plus malade - même s'il me faudrait un certain temps pour récupérer mes forces - et que je n'étais pas folle. Ma mère allait enfin répondre aux questions que je me posais sans seulement m'en rendre compte. Non, je n'allais pas mourir parce qu'une soeur défunte me l'ordonnait. Je crois que j'étais encore sous l'empire de la fièvre, car en temps normal, jamais je n'aurais été si sûre de moi, surtout quant à la qualité de ma santé mentale.
Deux jours après cela, j'étais sur pieds, et ma mère était assise en face de moi, s'apprêtant enfin à répondre à mes questions pressantes. Elle me parla longuement de notre famille, de ses origines, elle m'expliqua quantité de choses dont je ne me souviens plus. Je reviendrai sur la cause de cet oubli plus tard. Je ne me rappelle que de la fin de notre entretien, et de manière assez floue. Elle commença alors à me parler d'elle, comment ma grand-mère l'avait initiée à nos " dons ancestraux ". Elle avait déjà parlé de ces " dons " un peu plus tôt dans la soirée, et il me semble qu'il s'agissait du pouvoir de faire bouger des objets, lire dans les esprits, et d'influencer les pensées de la plupart des personnes. Son enseignement s'était passé sans encombres. Elle se maria avec mon père, et eut une première fille.(Il est important de préciser que dans notre famille, les dons ne se transmettent qu'aux filles premières-nées.) Ma mère eut aimé que Sophia eût eu un caractère doux et aimant, mais malheureusement, elle se révéla très vite être une petite peste. Ma soeur a toujours été très précoce. C'est pourquoi ses " pouvoirs " avaient commencé à se manifester dès qu'elle eut quatre ans, vers la période de ma naissance. Quoique très intelligente, elle ne possédait que le concept très simple des enfants " je veux-je prends ", concept qui ne l'a d'ailleurs jamais entièrement quittée. Elle ne vit alors que le profit qu'elle pouvait tirer de ses dons. Elle commença à tyranniser les serviteurs dont elle brouillait l'esprit. Puis, au fur et à mesure que je grandissais, elle jeta son dévolu sur moi. Elle était jalouse et ne supportait pas que mes parents s'occupent de ma propre éducation plutôt que de la sienne. L'inconsciente ! Elle osait soupçonner notre mère de la délaisser pour quelqu'un d'autre ! Mes parents n'avaient pas la force de la punir assez cruellement pour qu'elle comprenne qu'il fallait qu'elle arrête.
A cause de notre ressemblance physique très frappante (et pour de plus obscures raisons) je devais moi aussi hériter d'un peu de la magie de notre famille. Sophia ne pouvait souffrir cette idée. Elle voulait être la seule. Je ne crois pas que c'était d'amour dont elle avait besoin, non, c'était simplement par orgueil qu'elle faisait cela. Grâce à son intelligence prodigieuse, elle s'était rapidement aperçue de mes talents de magicienne, alors que je ne faisais qu'envoyer maladroitement des rêves aux personnes de mon entourage. Elle dut essayer de me tuer, je ne sais plus vraiment ce que ma mère m'a dit. En tous cas, le reste de la famille s'y opposa énergiquement, et après plusieurs ultimatums, il furent à la base de son " accident ". Sophia avait néanmoins eu le temps de supprimer la totalité de mes pouvoirs à jamais.
          Elle avait réussi à revenir, par un prodige impossible à imaginer, lorsqu'elle avait été entièrement sûre que j'étais assez faible pour me laisser faire sans résister. Mais c'était elle que ses forces avaient fini par trahir. Elle n'avait pas pu m'empêcher de remonter à la surface et donc de rester en vie. Par la suite, elle m'était apparue en rêve en utilisant ses dernières forces et son dernier subterfuge, mais elle avait été prise à son propre piège, car j'étais alors si faible que je n'aurais pas pu retourner me noyer dans l'étang, ni même devenir folle à cause de l'état pitoyable de mon cerveau.
Ma mère me dit que désormais, je n'aurais plus rien à craindre de ma soeur, car elle avait été immobilisée là où elle était par ma grand-mère elle-même. Elle m'expliqua encore quelques petites choses à propos de Sophia, de mes pouvoirs disparus, d'autres familles comme la nôtre à cela près que les dons se transmettaient de père en fils, et d'autres sujets dont je ne me souviendrai probablement jamais.
          A la fin de la conversation, elle parut assez contrariée par je ne sais quoi, elle poussa un profond soupir et s'approcha de moi. Elle me regarda dans les yeux, eut un pauvre sourire et murmura : " Oublie, cela vaudra mieux pour toi. Garde seulement en mémoire que tu n'as plus rien à craindre de personne dans cette maison. "
L'aube commençait à poindre à la fenêtre. D'un seul coup, je me sentis aussi vide et épuisée que si je n'avais pas dormi depuis des jours. Je me rappelle vaguement que me mère me prit par la main pour m'emmener me coucher, et qu'aussitôt dans mon lit, je m'endormis d'un sommeil de plomb.
          Le lendemain matin, je ne me souvenais pratiquement de rien. Mes parents se conduisirent comme si rien ne s'était passé. Ce ne fut que lorsque je repensai sérieusement à Sophia et à la nuit précédente que quelques bribes de souvenirs remontèrent à la surface de mon esprit.
Les trois jours qui suivirent, je fis de violents efforts pour me souvenir, m'accrochant aux quelques éléments que je retrouvais.
Enfin, et malgré le sort que ma mère m'a jeté - car je suis sûre qu'elle l'a fait - j'ai réussi à reconstituer les évènements de la fin de la soirée de manière assez cohérente. C'est d'ailleurs dans le but de conserver une trace de cette suite d'incidents que j'ai décidé d'écrire tout ce dont je me souviens. Je sais qu'il ne faut pas que ces notes tombent entre les mains de qui que ce soit.
          A présent, plusieurs questions s'imposent à moi, et je dois m'efforcer d'y répondre. Tout d'abord, comment ces souvenirs me sont-ils revenus en mémoire ? Peut-être est-ce la preuve de l'échec de ma soeur... Oui, ce serait possible : peut-être ai-je réussi inconsciemment (et grâce à mes dons) à conserver l'essentiel des informations qui pourraient se révéler précieuses au cas où je deviendrais moi aussi une sorcière. Ou peut-être s'est-il passé autre chose durant cette nuit, quelque chose dont j'aurais intérêt à me souvenir. Ou encore, peut-être que m'importe qui d'autre, comme moi, aurait réussi à se remémorer ce dont il avait besoin. Je ne peux qu'émettre des suppositions. Et pourtant... Pourtant je sens que quelque chose se transforme en moi. Je ne sais pas quoi. J'ai l'impression que je suis plus forte, plus sereine aussi. J'ai remarqué que mes yeux brillent d'une façon singulière depuis quelques temps. J'ignore ce qui se passe.
Ce qui est sûr, c'est que je n'oublierai pas. Non, je ne veux pas. Je veux découvrir ce que je suis. Ma mère a-t-elle fait une erreur en me racontant tout puis en voilant la mémoire ? Ou suis-je en train de la commettre, cette faute, en voulant savoir le pourquoi et le comment des choses ?
          Je vais continuer à rassembler mes souvenirs, et je verrai ce qui se passera lorsque j'aurai fouillé tous les recoins de mon cerveau. Je sens, même à cet instant, mes souvenirs qui affleurent à la frontière de mon subconscient. Et je sais qu'ils finiront par la franchir.

Une histoire de Lydie



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